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Au bord de la crise, l'Afrique centrale et orientale a besoin de justice

Avec 3,7 millions de personnes déplacées, dont 52% sont des femmes, la République démocratique du Congo est actuellement le pays le plus touché au monde par les déplacements internes. © FAO
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CCPI
Une crise humanitaire émerge en Afrique centrale et orientale avec plusieurs pays confrontés à une augmentation de la violence armée, des déplacements et de l’insécurité alimentaire. Pour freiner l’intensification de la situation, les Nations Unies et la société civile ont réitéré la nécessité urgente de traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’Homme.

Dans son dernier rapport, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU déclare que « le conflit est omniprésent et se répand dans le Soudan du Sud, la Somalie et la République démocratique du Congo (RDC), alors que le Kenya risque des violences électorales en 2017 ». Pendant ce temps, la paix fragile en République centrafricaine est menacée et les autorités du Cameroun auraient torturé des centaines de détenus dans la lutte contre Boko Haram.

Selon le rapport de l’ONU, près de 640 000 réfugiés et demandeurs d’asile se sont réfugiés dans la région des Grands Lacs et de la Corne de l’Afrique depuis début 2017, ce qui représente un total de 4,4 millions de personnes déplacées. La majorité des nouveaux déplacés viendraient du Soudan du Sud et du Burundi. Le Soudan du Sud est devenu l’origine de la crise de réfugiés qui connaît la croissance la plus rapide, tandis que la RDC a vu cette année le plus grand nombre de personnes au monde qui fuient un conflit interne.

Dans un débat ouvert sur le renforcement des capacités africaines en matière de paix et de sécurité au Conseil de sécurité de l’ONU la semaine dernière, le Secrétaire général, António Guterres, a déclaré que l’ONU et l’Union Africaine partagent un intérêt commun à renforcer les mécanismes qui désamorceraient les conflits avant qu'ils ne s'aggravent et à les gérer efficacement quand ils se produisent.

Alors que certaines situations dans cette région troublée ont déjà commencé à montrer des signes d’espoir suite à une action ou une pression internationale, notamment par la Cour pénale internationale (CPI) dans certaines affaires, d’autres précisent qu’un large éventail de réponses dans le cadre du système de justice internationale du Statut de Rome devra entrer en jeu dans la région pour qu’une paix durable soit possible.

 

République Démocratique du Congo

Le Conseil Norvégien pour les Réfugiés (CNR) a rapporté cette semaine qu’une crise alimentaire imminente menace de plonger la RDC dans une véritable catastrophe humanitaire. Près de la moitié des 26 provinces du pays sont affectées par des conflits intercommunautaires, des violences armées, des catastrophes naturelles et des maladies.

Le CNR indique que l’accord de partage de pouvoir de décembre 2016 en RDC s’est effectivement effondré et que les élections prévues pour 2017 seront probablement reportées. Depuis le mois d’août 2016, plus de 3 000 personnes ont été tuées, dont 491 étaient dans la province de Kasai, avec 1,4 million de personnes déplacées en raison de combats impliquant des forces gouvernementales et des groupes de milices qui luttent pour la contrôler.

Plus tôt ce mois-ci, 38 fosses communes auraient été identifiées dans la partie ouest du Kasai, ce qui porte le nombre total à 80. Du côté de l’ONU, le chef des Droits de l’Homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a nommé des experts pour enquêter sur les rapports de « recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats, à des violences sexuelles et basées sur le genre, à la destruction de maisons, d’écoles, de lieux de culte et d’infrastructures étatiques par des milices locales ainsi qu’ à l’existence de fosses communes » dans le Kasai. Cela a suivi un rapport de l’ONU suggérant que les forces gouvernementales avaient creusé des tombes. Les responsables gouvernementaux ont nié les allégations.

Pendant ce temps, des possibilités de justice pour les crimes internationaux commis en RDC ont déjà commencé à apparaître.

Des rapports ont émergé cette semaine à propos du chef rebelle congolais Ntabo Ntaberi Sheka, recherché par les autorités de la RDC pour crimes contre l’humanité, notamment pour viol en masse, qui s’est rendu aux soldats du maintien de la paix des Nations Unies.

Dans un développement encore plus prometteur, le Fonds au Profit des Victimes de la CPI a présenté son projet de mise en œuvre pour des réparations dans l'affaire de Germain Katanga, chef de la milice, tel que l’a ordonné la Chambre de première instance II en mars 2017. Une fois approuvé, le plan visera à aider les personnes touchées par les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Katanga lors d’une attaque contre le village de Bogoro, dans l’est de la RDC, en 2003.

 

République centrafricaine

Un rapport récent de Human Rights Watch a indiqué que des centaines de personnes ont été tuées et des milliers de personnes déplacées en République centrafricaine, avec des civils — et les enfants en particulier — qui sont de plus en plus ciblés dans les meurtres, enlèvements, viols et recrutement dans des groupes armés.

Selon Human Rights Watch, les crimes allégués relèvent de la compétence de la CPI et de la Cour pénale spéciale (CPS) nationale une fois que l’organe judiciaire nouvellement créé devient opérationnel. La CPS marquera une occasion importante pour la RCA de prendre en main la justice internationale conformément au principe de complémentarité du Statut de Rome.

Pendant ce temps, une violence renouvelée en RCA, qui implique les meurtres de deux Casques bleus marocains cette semaine, risque de retarder des années d’efforts pour restaurer une stabilité fragile, a averti l’ONU. Le chef de l’ONU a fait appel à toutes les parties pour qu’elles arrêtent la violence et « prennent des mesures pour éviter une nouvelle détérioration de la fragilité de la sécurité dans le pays ».

La RCA, où deux enquêtes séparées de la CPI sont en cours, essaie de sortir d’une guerre civile qui a éclaté en 2013 suite au renversement de l’ancien président François Bozizé, un chrétien, par des rebelles musulmans de la coalition Seleka. La deuxième enquête du procureur de la CPI en RCA concerne le conflit sectaire qui a commencé en 2012.

Bozizé a pris le pouvoir en 2003 après avoir destitué son prédécesseur, Ange-Félix Patassé. Patassé avait enrôlé la milice rebelle du Mouvement de Libération du Congo de la RDC sous le commandement de Jean-Pierre Bemba dans une tentative infructueuse de déjouer le coup. Bemba a été reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en 2016 dans le cadre de la première enquête de la CPI en RCA.

 

Burundi

Les attaques illégales et les meurtres demeurent répandus au Burundi, deux ans après l’annonce de la candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat, laquelle avait déclenché une explosion de violence. Neuf organisations de défense des droits de l’Homme ont exhorté le Procureur de la CPI à faire avancer l’examen préliminaire de la Cour dans le pays à l’étape de la pleine enquête dès que possible.

Le procureur de la CPI devrait « commencer rapidement une enquête approfondie et délivrer des mandats d’arrestation contre ceux qui sont responsables des crimes », déclare Lambert Nigarura, un militant des droits de l’Homme exilé.

« Dans la rue, les violences policières ou des Imbonerakure sont quasi-quotidiennes », a déclaré un civil décrivant son calvaire quotidien dans une interview à Trial International. « Chaque jour que Dieu a créé, on trouve au moins deux personnes assassinées, sans compter les disparitions forcées ».

À la lumière du refus du gouvernement de coopérer avec l’UA et l’ONU, le Centre mondial pour la responsabilité de protéger a cette semaine demandé au Conseil de sécurité de l’ONU à imposer un gel des avoirs et des interdictions de voyage contre ceux qui menacent la paix et la sécurité du Burundi.

 

Cameroun

Les violations apparentes des autorités du Cameroun ont poussé la société civile à passer à l’action.

Un nouveau rapport d’Amnesty International invoque des crimes commis par le gouvernement du Cameroun dans la lutte contre Boko Haram, identifiant 20 sites utilisés par le personnel camerounais, américain et français pour la torture présumée de centaines de détenus, y compris des mineurs et des personnes ayant un handicap mental et physique soupçonnés de soutenir le groupe armé.

« Ces terribles violations s’apparentent à des crimes de guerre », a déclaré Alioune Tine, directeur du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International. « Au vu des multiples éléments que nous avons découverts, les autorités doivent diligenter une enquête indépendante sur la pratique de la détention au secret et de la torture, notamment en vue d’établir les responsabilités éventuelles, aussi bien au niveau individuel que dans la chaîne de commandement. ».

Pour certains, le point de départ pour les membres de la communauté internationale pour freiner la violence est simple. « En fermant les yeux sur les abus au Cameroun, les États-Unis risquent d’aggraver le problème du terrorisme dans la région », écrit Simon Allison, de l’Institute for Security Studies.

 

Soudan du Sud

Amnesty International a signalé des milliers de violences sexuelles contre les femmes et les filles au Soudan du Sud dans un conflit continu qui a entraîné la plus grande concentration d’enfants soldats sur le continent, et potentiellement dans le monde.

Selon l’ONU, près de 2 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Soudan du Sud et plus de 1,9 million de Soudanais du Sud ont fui le pays en tant que réfugiés et demandeurs d’asile depuis décembre 2013. 

De nombreuses violations graves des droits de l’Homme contre les civils au Soudan du Sud ont été signalées, notamment des meurtres, des formes de torture, des viols et d’autres formes de violence sexuelle et sexiste, le recrutement d’enfants soldats et la destruction de biens et de moyens de subsistance.

En l’absence de l’adhésion du Soudan du Sud à la CPI ou d’un renvoi de la compétence du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la situation dans le pays à la CPI, le chef des droits de l’homme des Nations Unies et les membres de la société civile ont demandé à la Commission de l’Union Africaine et au gouvernement du Soudan du Sud d’établir d’urgence un tribunal hybride pour juger les auteurs de crimes graves.