Côte d’Ivoire : la Cour pénale internationale au pied du mur
Depuis bientôt deux décennies, la Côte d’Ivoire s’est enlisée dans un cycle de violences inouïes et dont les points culminants ont été la rébellion armée du 19 septembre 2002 et la crise postélectorale de novembre 2010 à mai 2011.
Face au bilan funeste qui faisait état d’au moins 3000 morts et de plusieurs milliers de blessés, de disparus et de femmes violées, la Cour pénale internationale (CPI) a décidé en 2011 de revenir sur les faits.
Quatre ans après l’intervention de la CPI, son action est diversement appréciée dans un contexte où les tensions sociopolitiques sont encore vives et tranchées. En effet, la Côte d’Ivoire, qui est devenue partie au Statut de Rome de la CPI le 15 février 2013, se caractérise par la récurrence de la violence, des questions toujours électorales ou de la justice mal rendue.
Plusieurs attentes semblent avoir été déçues là où le besoin de justice apparaissait avec force. Tantôt la CPI apparaît comme une Cour prolongeant l’idée de justice des vainqueurs, tantôt comme une Cour n’étant pas assez proche des populations qu’elle est censée protéger. Tout ceci intervient au cœur de la polémique sur les réflexes anti-africains de la CPI, entretenue par l’Union africaine. Pour la première fois dans l’histoire de la Cour, un ancien chef d’Etat africain est poursuivi juste après son mandat.
Des poursuites orientées pour l’instant ?
Face à la succession d’évènements violents en Côte d’Ivoire, le besoin de recours pour les victimes était vraiment grand. Certes, plusieurs mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place pour s’adresser à la recherche de la vérité et situer les responsabilités au niveau local. Il s’agit de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) et de la Commission Nationale d’Enquête (CNE). Les juridictions ivoiriennes ont également été mises à contribution pour connaître certaines situations liées aux violences électorales. Mais la suspicion généralisée, le manque de confiance des Ivoiriens entre eux, de même que le manque de confiance dans les institutions de la République ont non seulement réduit ces mécanismes à des résultats mitigés, mais ont aussi fait paraître la CPI comme une panacée pouvant apporter la lumière sur les faits imputables à des personnes portant les grandes responsabilités.
À dire vrai, des crimes entrant dans la compétence de la Cour ont été commis de part et d’autre durant les différentes étapes du conflit, et les personnes à qui ces crimes pouvaient être reprochés se trouvent dans les deux camps.
Mais la réalité nous met bien loin du compte. Aujourd’hui, il n’y a que trois personnes qui sont poursuivies par la Cour : l’ancien Président Laurent Gbagbo, son épouse Simone Gbagbo et le leader de la Jeunesse de leur groupement politique, Charles Blé Goudé.
À ce jour, aucune personne du camp adverse n’a ne serait-ce qu’été entendue. Le constat est d’autant plus sérieux que même au niveau de la justice nationale, aucune poursuite n’est engagée contre l’autre camp, aujourd’hui au pouvoir. Le Procureur de la CPI a annoncé des poursuites contre l’autre camp, mais n’en fît rien, laissant planer un sentiment de justice des vainqueurs sur les vaincus.
À titre d’exemple, alors même que l’autorisation d’enquêter en Côte d’Ivoire ait été obtenue de la Chambre préliminaire III le 03 octobre 2011, le Bureau du Procureur demandait déjà le 25 octobre 2011, un mandat d’arrêt contre l’ancien Président Laurent Gbagbo, soit trois semaines plus tard. Il fût effectivement transféré à la Haye le 30 novembre 2011, en exécution d’un mandat d’arrêt émis par la Chambre préliminaire III le 23 novembre 2011. Ainsi, si tant est que trois semaines aient suffi à réunir des éléments de preuve pour convaincre la Chambre préliminaire III de décerner un mandat d’arrêt contre Monsieur Gbagbo, Nous sommes en droit de nous interroger sur le retard à enquêter sur l’autre camp.
Au-delà même du contenu de la justice, l’apparence d’une justice rendue en temps réel donne un signal dans le sens de la lutte contre l’impunité. En termes simples, au-delà même du contenu de la justice, l’apparence d’une justice rendue en temps réel donne un signal dans le sens de la lutte contre l’impunité, rassure les justiciables et donne à la justice toute sa crédibilité et sa légitimité.
Tant que la politique criminelle de la CPI ne tiendra pas compte de ce paramètre, la justice telle qu’entreprise par la CPI en Côte d’Ivoire, au nom de l’approche séquentielle n’aura qu’un seul visage et sera orientée dans un seul sens, avec le risque de susciter encore une fois des rancœurs et des sentiments d’insatisfaction généralisés qui pourraient conduire vers des désirs de vengeance.
Il pourrait par exemple s’agir pour le Bureau du Procureur de tenir compte de la gravité des crimes et de l’influence des acteurs concernés dans la chaine politique actuelle dans la sélection des affaires. Ceci permettrait effectivement de donner un signal fort dans le sens de la lutte efficace contre l’impunité, nonobstant les positions officielles et autres immunités.
Des actions à impact reduit ?
Pour sûr, la CPI est la seule juridiction qui reconnaisse un statut aux victimes. C’est d’ailleurs l’article 85 du règlement de procédure et de preuve qui donne une définition à la notion de victime en droit international. C’est également la seule juridiction qui entreprenne de faire participer les victimes à ses procédures. En témoigne l’existence d’une section de la participation des victimes et des réparations au sein du greffe de la Cour (VPRS).
La chose la plus difficile pour la Cour consiste donc à se faire entendre et comprendre par les communautés.
En Côte d’Ivoire, beaucoup a été fait par la Cour depuis 2012, notamment avec la VPRS et l’unité de sensibilisation et d’information. Mais l’impact est encore réduit.
D’autres préoccupations restent encore vives. La plupart des crimes reprochés au camp Gbagbo ne concernent que des faits qui se sont déroulés dans la capitale Abidjan, à l’exclusion des autres régions du pays. L’une des conséquences directes est que d’autres milliers de victimes dans d’autres régions du pays (meurtres massifs, viols, crimes de guerre, enrôlement d’enfants, peut-être même génocide) ne sont pas concernés par le travail de la Cour.
Il ne faut pas non plus négliger le fait que les procédures devant la CPI sont complexes, longues et difficiles à comprendre avec le langage et la rhétorique judiciaire qui demandent par endroits des aptitudes plus que minimales pour les citoyens lambda.
Au final, la CPI, rempart important pour la justice et la réconciliation, gagnerait à revoir sa politique en Côte d’Ivoire en étant encore plus soucieuse de l’équilibre dans les poursuites, et en donnant un impact plus certain à ses actions.
Cet article a été publié sur OpenDemocracy.
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