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La Cour Pénale Internationale ou l’Union Africaine : Qui peut rendre justice aux victimes africaines ?

Désiré Y. Assogbavi est un avocat & analyste politique et le Chef de Bureau de liaison d'Oxfam avec l'Union africaine (UA)
Dans ce commentaire, l'avocat et analyst politique Désiré Assogbavi examine des mythes communs qui encerclent le débat sur la Cour Pénale Internationale (CPI) et l'Union africaine, partageant les raisons pour lesquelles il soutient les enquêtes en cours de la CPI en Afrique.

J’ai passé plusieurs années de ma carrière professionnelle à travailler sur les droits de l’homme et la justice d’abord en tant que fondateur et président du Juris-Club, puis Membre de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Togo à la suite de mon élection par l’Assemblée Nationale du Togo et ensuite comme Officier de Liaison pour l’Afrique de la Coalition pour la cour pénale internationale  à New York entre autre. Le conflit entre l’Union Africaine et la Cour pénale internationale (CPI) m’interpelle donc à plusieurs égards mais surtout en tant qu’Africain épris de justice.

Je vous propose dans les lignes qui suivent des réflexions personnelles sur les différents épisodes du feuilleton « CPI contre Union Africaine ».

 

L’essentiel de la Cour Pénale Internationale (CPI)

La création de la Cour Pénale Internationale est un pas important dans les efforts déployés par l’humanité pour rendre notre monde plus juste. La cour a été créée par un traité de droit international « Le Traité de Rome » adopté en 1998 et entré en vigueur en 2002. La CPI ne vise que les crimes les plus graves notamment le génocide, les crimes de guerres, les crimes contre l’humanité, et le crime d’agression et ce, seulement lorsque les Etats ne sont pas en mesure ou n’ont pas la volonté de juger ces crimes eux même. La Cour peut être saisie par un état partie, le procureur et le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le Statut de la Cour s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier la qualité de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du Statut : Article 27.

 

La place de l’Afrique dans la CPI

L’Afrique est le bloc géographique le plus représenté à la CPI. 124 pays sont présentement États Parties au Statut de la Cour pénale internationale : Afrique : 34, Asie et Pacifiques : 19, Europe Orientale : 18, Amérique Latine et Caraïbes : 28, Europe Occidentale et autres : 25. Les juges de la cour proviennent équitablement de toutes les régions du monde. Des 18 juges de la cour 4 sont Africains : Kenya (vice-présidente), Nigeria, RDC, Botswana. Par ailleurs, la procureure de la cour est Gambienne.

 

La CPI vise-t-elle particulièrement l’Afrique ou les leaders Africains ?

A ce jour la CPI a ouvert des enquêtes dans 9 pays dont 8 en Afrique : Ouganda, RDC, Soudan, RCA, Kenya, Libye, Cote d’Ivoire, Mali. Ceci démontre clairement que la CPI opère essentiellement en Afrique et il est vrai qu’aujourd’hui l’Afrique n’est pas le seul continent ou les crimes relevant de compétence la CPI sont commis mais saviez- vous comment et pourquoi est-on arrivé à cette concentration des activités de la CPI en Afrique ?

D’abord c’est le Président Ougandais Yoweri Museveni qui a été le premier Chef d’Etat à saisir la CPI de la situation au Nord de l’Ouganda en Janvier 2004 contre son opposant Joseph Kony et l’Armée de Résistance du Seigneur, un groupe armé particulièrement violent et responsable d’atrocités. Ensuite c’est le gouvernement de la RDC sous le Président Joseph Kabila qui a saisi la CPI de la situation dans son pays. S’en sont suivi les gouvernements de la République Centrafricaine, et du Mali qui ont eux aussi saisi la cour de la situation dans leur pays respectifs. En 2003, avant même de ratifier formellement le traité de la CPI le gouvernement de Laurent Gbagbo avait officiellement reconnu la compétence de la CPI sur son pays, la Cote d’Ivoire.

En bref, les gouvernements de 4 des 8 pays africains sous enquête ont eux-mêmes saisi la CPI (Ouganda, RDC, RCA, Mali). La procureure de la cour a ouvert des enquêtes de sa propre initiative dans 2 pays avec la pleine coopération de leurs gouvernements (Kenya, Cote d’Ivoire) et le Conseil de Sécurité des Nations Unis avait saisi la cour dans 2 autres cas (Soudan et Libye).

Il est donc évident eu égard à ce constat que ce sont les leaders Africains qui sont allés vers la CPI et non pas le contraire mais pourquoi ? Et pourquoi sont – ils contre la Cour aujourd’hui ?

 

Les leaders Africains avaient-ils compris la CPI autrement ?

En 2004, le Président Museveni avait saisi la CPI contre son opposant Joseph Kony et l’Armée de Résistance du Seigneur. Mais au cours des enquêtes il y eu des indices selon lesquelles l’Armée régulière de l’Ouganda (UPDF) aurait aussi commis des crimes relevant de la compétence de la Cour, et donc susceptible d’être jugés par la CPI avec des possibilités d’implication du Président Museveni lui-mêmeé Pas question !!! selon Museveni la CPI devient donc son ennemi juré.

En 2003, avant même de ratifier formellement le traité de la CPI, le gouvernement de Laurent Gbagbo avait officiellement reconnu la compétence de la Cour sur son pays, la Cote d’Ivoire Laurent Gbabo visait vraisemblablement ses ennemis politiques mais le pouvoir avait changé de camp par la suite, c’était donc le Président Allassane Ouatarra qui livra Laurent Gbagbo à la CPI sur la base de la même reconnaissance spéciale signée par Gbagbo lui-même.

En 2004, Joseph Kabila s’est servi de la CPI pour se débarrasser de certains criminels de guerres présumés et gênants mais il s’était certainement aussi réjoui de voir son challengers politique Jean Pierre Bemba emporté par la CPI dans une affaire liée à la RCA.

En 2004 le Gouvernement de Francois Bozize avait saisi la CPI contre des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le contexte des violences en République Centrafricaine entre 2002 et 2003.

Il n’y a donc que le cas du Soudan et dans une certaine mesure, celui de la Libye qui ont échappé au contrôle du pays en question. La CPI vise-t-elle l’Afrique ou les leaders Africains ? Jugez-en vous-même !

 

Mais pourquoi la CPI ne s’occupe-t-elle pas des autres ?

Malgré ce qui précède, cette question vaut la peine d’être posée. Je soutiens personnellement toutes les enquêtes de la cour en Afrique car des innocents africains ont été effectivement massacrés par des africains sous des ordres et avec le soutien d’autres Africains peu importe si les présumés coupables sont Chefs d’Etat, Vice-Président ou autre. Leurs fonctions officielles ne leur confèrent pas le droit de tuer ou de faire massacrer les citoyens. D’ailleurs le statut de la CPI ne reconnait pas la qualité officielle de qui que ce soit c’est cela même le coté innovateur de la CPI et ce, en faveur des victimes.

Pourquoi la CPI tarde à agir concrètement en faveur des victimes Irakiennes, Palestiniennes, Syriennes, Afghanes ? (Même si certains de ces pays sont présentement sous enquête préliminaires) les réponses ne sont malheureusement pas aussi « justes » qu’on le souhaiterait : Parce que ces pays ne sont pas parties au statut de la CPI, ou encore parce qu’un ou plusieurs pays puissants dotés du droit de veto au Conseil de Sécurité s’y opposeraient certainement pour des raisons injustes que nous connaissons tous. En effet seuls 2 des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies sont parties à la CPI : la France et le Royaume Uni.

Beaucoup de questions sans réponses : Pourquoi la CPI ne s’attaque le plus souvent qu’aux vaincus et non pas aux vainqueurs qui seraient aussi coupables de crimes comme en côte d’Ivoire et peut être en RCA et en RDC ? Pourquoi c’est au Conseil de Sécurité des Nations Unies seulement qu’il est donné  le droit de référer des cas à la Cour  et même de différer des enquêtes de la Cour  alors que ce Conseil est l’institution la plus injuste et la moins représentative de notre monde ? Pourquoi s’oppose-t-on à ce que l’Assemblée Générale des Nations  Unies exerce ce même pouvoir ?

Ces questions et bien d’autres affaiblissent évidement la crédibilité de la CPI mais qui en est responsable et qui doit et la corriger ?

 

Un retrait collectif de la CPI par l’Afrique ?

La CPI a des problèmes, il est vrai, mais je ne pense pas que ces problèmes justifient toute la guerre déclenchée contre la Cour par l’Union Africaine. Des atrocités sont effectivement commises, des Africains sont massacrés en masse par d’autres Africains et il n’existe aucun mécanisme fonctionnel à ce jour pour punir les coupables de ces crimes internationaux et rendre justice aux victimes. En ce qui concerne l’Afrique, la CPI est donc le seul mécanisme juridictionnel fonctionnel en ce jour pour connaitre de ces crimes.

Comme son nom ne l’indique pas, la soi-disant « stratégie de retrait collectif » de l’Union Africaine est plutôt un document qui énumère les griefs et revendications de l’Union Africaine contre la CPI et son fonctionnement notamment le fait que la Cour ne cible que les leaders Africains, la question de l’immunité des Chefs d’Etat et la demande de l’Union Africaine, adressée au Conseil de Sécurité  de suspendre les poursuites contre les dirigeants Soudanais et Kenyans. Le document, adopté par le dernier Sommet de l’Union comporte aussi une étude des procédures nationales  de retrait individuel éventuel d’Etats membres de l’UA.  Le «retrait collectif» d’un traité est un abus de langage. Il n’existe pas en droit international. L’Union Africaine l’utilise peut être comme un instrument de pression politique pour catalyser des changements à la CPI.

Mais la CPI n’est-elle pas un patrimoine commun qui doit nous aider à créer un monde plus juste ? Toutes les nations y compris africaines et leurs composantes ne doivent-elles pas œuvrer ensemble pour l’améliorer ? L’abandonner ou la quitter ne doit pas être une option et je me réjouis du fait qu’un certain nombre de pays Africains aient émis des réserves sur le texte lors des débats au cours du dernier Sommet.

Je viens même d’apprendre que la Gambie qui avait précédemment annoncé son retrait de la CPI a changé d’avis. Le gouvernement vient d’informer les Nations Unies que la Gambie reste bel et bien état partie au Statut de la CPI. Bonne nouvelle !

Un retrait en grand nombre des pays Africains de la CPI serait une honte, un mépris terrible pour les victimes Africaines et un encouragement pour les bourreaux et potentiel bourreaux je sais que cela n’arrivera pas.

 

La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : Une solution Africaine ?

Le Slogan « Solutions Africaine aux Problèmes Africains » est bien beau mais il ne me convainc qu’a deux conditions : La facture de la solution africaine doit être aussi payée par l’Afrique (je rappelle que l’Afrique n’avait pas payé la facture du procès de Hissen Habré) et les normes universelles des droits de l’homme et de justice doivent être appliquées car les droits de l’homme et les principes de justice n’ont pas de nationalité ou d’identité régionale . Ils sont simplement universels.

Ceci étant dit, l’organe qui rend la justice importe peu si cette justice est juste et équitable mais la réalité est que la Cour Africaine des Droits de l’Homme n’a en ce jour qu’une « promesse » de compétence pénale. Ce qui veut dire qu’elle ne peut pas connaitre des crimes internationaux en ce moment et je ne vois aucune volonté politique de la part de nos états de le concrétiser bientôt. Presque 20 ans après l’adoption du Protocol de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (sans compétence pénale)  seuls 30 Etats Africains sur 54 l’on ratifié. Par ailleurs le protocole amendé  donnant compétence pénale à  la Cour n’a été ratifié en ce jour par aucun état africain, 2 ans après son adoption à Malabo. Le constat est donc clair : Se retirer de la CPI avant qu’une cour Africaine soit capable de juger et punir les crimes graves c’est tout simplement garantir l’impunité et mépriser les victimes. Ce qui est encore navrant est que le Protocole de Malabo consacre l’immunité des chefs d’état dans l’exercice de leur fonction, même pour des crimes internationaux. Je considère cela non seulement comme « un permis de tuer » sans soucis d’être inquiété  mais aussi une incitation pour les dictateurs de s’accrocher indéfiniment au pouvoir. Ceci est aussi contraire à l’Acte Constitutif de notre Union Africaine.

Je vous invite aussi à lire mes interviews sur Radio France Internationale et le journal Le Monde sur le même sujet à partir des liens suivants :

Union africaine et CPI: chronique d'un divorce à petits pas

L’Afrique veut-elle vraiment en finir avec la Cour pénale internationale ?

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