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Les juges de la CPI confirment que l’Afrique du Sud était tenue d’arrêter El-Béchir

Les juges de la Chambre préliminaire II de la CPI, M. le juge Cuno Tarfusser, président, (au centre) M. le juge Chang-ho Chung (à droite) & M. le juge Marc Perrin de Brichambaut (à gauche), lors de l'audience du 6 juillet 2017 à La Haye, aux Pays-Bas.©CPI
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Les juges de la CPI confirment que le gouvernement sud-africain a violé ses obligations relatives au Traité de la CPI, ce qui renforce la décision des tribunaux sud-africains.

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont confirmé le 6 juillet que le gouvernement sud-africain a manqué à ses obligations en tant qu’Etat partie au Statut de Rome en n’arrêtant pas le président soudanais El-Béchir, de passage dans le pays en 2015, et recherché pour crimes graves au Darfour. Cette décision met en exergue l’un des principes fondateurs du Statut de Rome, à savoir que personne n’est au-dessus des lois, a déclaré aujourd’hui la Coalition pour la CPI.

Les deux parties peuvent encore faire appel de cette décision, donnant la possibilité aux procédures judiciaires de se poursuivre pendant plusieurs mois.

« La décision d’aujourd’hui vient renforcer les décisions indépendantes du tribunal de l’Afrique du Sud face au fait que le gouvernement n’a pas arrêté d’El-Béchir en 2015. Les juges ont levé toute ambiguïté dans la compréhension du principe fondateur du Statut de Rome : il n’y aura aucune immunité face aux pires crimes reconnus par le droit international » a déclaré William Pace, coordinateur de la Coalition pour la CPI. « Les dirigeants sud-africains, conformément aux obligations du Traité de la CPI et à leur législation nationale, n’auraient pas dû permettre à El-Béchir de ne pas être arrêté. Ils auraient dû le transférer à la Haye pour un procès équitable devant la justice ».

« Le Centre de litige de l’Afrique australe est en accord avec le verdict de la CPI selon lequel l’Afrique du Sud a manqué à ses obligations en vertu du Statut de Rome » a déclaré Kajaal Ramjathan-Keogh, directeur exécutif du Centre de litige de l’Afrique australe. « La Cour a également tenu compte des conclusions de la Cour suprême d’Afrique du Sud qui a jugé que le gouvernement avait agi en dehors des lois en n’arrêtant pas le président Omar El-Béchir lorsque ce dernier avait assisté au sommet de l’Union Africaine en juin 2015. Ceci est conforme au principe de complémentarité qui caractérise la CPI ».

« Ce verdict confirme ce que chacun, y compris les autorités sud-africaines, savait déjà. El-Béchir ne doit pas bénéficier d’une immunité d’arrestation et tous les Etats parties au Statut de Rome doivent l’arrêter à la minute où il met les pieds sur leur territoire, et le livrer à la CPI », a souligné de son côté le directeur du programme Afrique Recherche et Plaidoyer d’Amnesty International. « Il est choquant de voir que d’autres Etats parties, tel que la Jordanie, ont également manqué à leur obligation d’arrêter El-Béchir et cette décision rend manifeste leur violation du droit international ».

 

Malgré le constat de non-coopération, les juges refusent de renvoyer la question sud-africaine

Les juges ont également déclaré qu’ils n’avaient pas jugé utile un renvoi de non-coopération devant l’Assemblée des Etats parties (AEP) - organe directeur de la Cour composé des 124 Etats membres - pour obtenir la coopération de l’Afrique du Sud. Ils ont constaté que, comme il avait été établi « sans équivoque » par une Cour sud-africaine et par la CPI que l’Afrique du sud aurait dû arrêter El-Béchir, un renvoi n’aurait eu « aucune conséquence ». Selon les juges, le gouvernement sud-africain s’était engagé pleinement auprès de la Cour en 2015 à déterminer comment interpréter le Statut de Rome.

Les juges de la Chambre préliminaire se sont aussi prononcés contre un renvoi de non-coopération au Conseil de Sécurité de l’ONU, organe directeur qui avait en premier lieu mentionné la situation au Darfour, évoquant de profondes inquiétudes quant à l’absence d’effets dans les nombreux cas où la Cour a renvoyé des problèmes de non-coopération au Conseil de sécurité.

« La décision de la CPI selon laquelle l’Afrique du Sud aurait dû arrêter le président soudanais Omar El-Béchir est conforme à ses décisions antérieures » a déclaré Dewa Mavhinga, directeur du programme Afrique australe de Human Rights Watch. « El-Béchir a fui les charges de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Darfour qui pesaient contre lui, et la CPI s’appuie sur ses membres pour exécuter ses arrestations. Toutefois, les juges ont décidé de ne pas décréter une constatation formelle de non-coopération compte-tenu des facteurs entourant l’incident ».

“We are surprised that the ICC has not made a referral to either the ASP or the UNSC but do understand this in light of sensitivities around South Africa’s continued membership of the ICC,” continued Ramjathan-Keogh.

The Court referred the issue of non-cooperation of states in the arrest of al-Bashir six times to the UN Security Council, each time without any effective follow up. At today’s hearing in The Hague, Presiding Judge Cuno Tarfusser stated that this inaction was regrettable and “renders UNSC referrals [to the ICC] futile.”

« Nous sommes surpris que la CPI n’ait pas fait un renvoi à l’AEP ou au CSNU mais nous comprenons cela à la lumière des sensibilités entourant l’adhésion de l’Afrique du Sud à la CPI » a ajouté Ramjathan-Keogh.

La Cour a renvoyé six fois devant la Conseil de sécurité des Nations Unies la question de la non-coopération des Etats quant à l’arrêt d’El-Béchir, ce qui n’a jamais été suivi d’effet. Lors de l’audience à La Haye aujourd’hui, le juge président Cuno Tarfusser a déclaré que cette inaction était regrettable et rendait « inutile le renvoi [de la CPI] au Conseil de sécurité des Nations Unies ».

« Nous sommes heureux de voir qu’il a été reconnu que l’Afrique du Sud n’a pas répondu aux obligations qui lui incombent en vertu du Statut de Rome, mais déçus qu’après avoir souligné les précédents échecs du Conseil de sécurité, la Cour n’ait pas mis le Conseil de sécurité ou l’AEP au défi de montrer leur engagement pour l’avenir de la justice internationale en prenant des mesures contre l’Afrique du Sud pour avoir omis d’arrêter et de livrer Béchir à la Cour » ont déclaré pour leur part Wanda Akin et Raymond Brown, représentants légaux des victimes dans l'affaire El-Béchir et cofondateurs du Projet Justice Internationale (IJP).

« Alors que la présente décision est une déclaration importante contre l’impunité et la reconnaissance de la détresse des victimes, plusieurs membres de la communauté du Darfour ont regretté que le Conseil de sécurité ne soit pas encouragé à agir pour dissuader les futurs cas de non-coopération et, au bout du compte, faciliter la comparution en justice d’un accusé génocidaire », a souligné Monica Feltz, directrice exécutive de l’IJP.

« La Coalition pour la CPI comprend l’exaspération des juges face au Conseil de sécurité qui ne parvient pas à faire respecter ses propres renvois à la CPI » a ajouté Mr Pace. « De nombreux membres de la Coalition pensent que les 124 Etats parties, soit presque deux tiers de la communauté internationale des nations, doivent remédier aux défaillances pour sécuriser les arrestations, et aux échecs du Conseil de sécurité face à ses propres renvois. Ces problèmes ne doivent pas être laissés à la CPI. Ce sont les gouvernements qui doivent faire en sorte d’exécuter les arrestations ».

Les juges et les autres experts ont noté le droit de faire appel de la décision de la Chambre préliminaire.

 

L’Afrique du Sud, El-Béchir et la CPI

En 2015, El-Béchir a assisté à un sommet de l’Union Africaine organisé à Johannesburg par l’Afrique du Sud. En dépit des demandes de la CPI et des ordres du tribunal national de mettre à exécution le mandat d’arrêt contre El-Béchir sollicité par la société civile locale, les autorités sud-africaines lui ont permis de quitter rapidement le pays pour le Soudan.

Dans un précédent procés lancé par le Centre des litiges de l’Afrique Australe (SALC), la Haute Cour de Pretoria et la Cour suprême du pays avaient constaté que l’absence d’arrestation d’El-Béchir était illégale du fait de l'adhésion de l’Afrique du Sud au Statut de Rome, de sa loi sur la CPI et de la disposition fondamentale du Statut sur la non-pertinence de la capacité officielle. L’article 27 du Statut de Rome interdit les immunités pour les chefs d'État et les hauts représentants du gouvernement.

Fin 2016, les juges de la CPI ont convoqué l’Afrique du Sud afin qu’elle explique son manquement à l'arrestation d’El-Béchir. En exposant sa situation devant les juges de la CPI lors d’une audience publique en avril 2017, l’Afrique du Sud a prétendu que les immunités diplomatiques relatives au statut de chef d’Etat de Béchir, ainsi que celles accordées aux participants du Sommet de l’Union Africaine, l’avaient empêché de procéder à l’arrestation.

En mai 2015, sachant que El-Béchir avait prévu de se rendre au sommet de l’Union Africaine, le greffe de la CPI avait notifié à l’Afrique du Sud, non seulement son obligation de l’arrêter, mais aussi de consulter la Cour face à de prévisibles difficultés liées à l’exécution de son arrestation. Les autorités sud-africaines ont demandé une rencontre avec les responsables de la CPI en juin 2015, au moment du Sommet de l’Union Africaine, pour discuter de ladite question. En réponse à cette demande, la Cour avait convoqué une réunion le 12 juin 2015 pour entendre leurs préoccupations.

Le jour suivant la rencontre, la Cour a déclaré que l’Afrique du Sud était en effet obligée de procéder à l’arrestation d’El-Béchir. Compte-tenu de l’obligation clairement exprimée par les juges de la CPI, le SALC a déposé une requête urgente pour la Haute Cour de Pretoria le 14 juin 2015 afin de bloquer le départ d'El-Béchir dans l’attente de sa décision sur la même question. En violation de l'ordonnance de la Haute Cour, les autorités sud-africaines ont autorisé El-Béchir à quitter le pays le 15 juin, au milieu des audiences en cours censées clarifier les obligations de l’Afrique du Sud.

L’Afrique du Sud insiste sur le fait que sa réunion du 12 juin 2015 avec la CPI ne constitue pas une consultation au titre de l’article 97. L’AEP, en 2015, avait abordé les préoccupations de l'Afrique du Sud selon lesquelles son droit à être entendu en tant qu’Etat partie n’avait pas été respecté. En réponse, le bureau de l'AEP en 2016 a créé un groupe de travail sur l’interprétation des procédures de consultation de l'article 97.

 

Historique

La CPI est la première cour permanente internationale à avoir une compétence juridique pour reconnaître les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Le principe de complémentarité est au coeur du mandat de la Cour. Cela implique que la Cour n’interviendra que si les systèmes judiciaires nationaux ne peuvent ou ne veulent pas enquêter et poursuivre les auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Dix enquêtes sont actuellement en cours à la CPI : la République centrafricaine I et II; la République démocratique du Congo; le Darfour, au Soudan; le Kenya; la Libye; l’Ouganda; la Côte d’Ivoire; le Mali; et la Géorgie.

La CPI a rendu publics 33 mandats d’arrêt et 9 assignations à comparaître. Trois procès sont en cours et trois affaires au stade des réparations. Le Bureau du Procureur a rendu public le fait qu’il examine dix situations sur quatre continents dont l’Afghanistan, la Colombie, les navires immatriculés aux Comores, la Grèce et le Cambodge, la Guinée, l’Irak, le Nigeria, l’Ukraine, la Palestine, le Burundi et le Gabon. Le bureau du procureur a bouclé les examens préliminaires concernant le Honduras, le Venezuela et la République de Corée, refusant à chaque fois d’ouvrir une enquête.

 

A propos de nous

La Coalition pour la Cour pénale internationale est un réseau international d’organisations de la société civile travaillant en partenariat dans plus de 150 pays pour renforcer la coopération internationale avec la Cour, veiller à ce que cette dernière soit juste, efficace et indépendante, rendre la justice visible et universelle, et les lois nationales plus strictes pour que justice soit rendue aux victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

 

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